Communication

Mais je ne suis pas violent.e

Par François Thibeault, le 22 septembre, 2022

Trouvez-vous que l’expression Communication NonViolente est rébarbative? Vous demandez-vous pourquoi celle-ci contient le mot non-violence qui est, après tout, un terme négatif? Nous pouvons imaginer des situations où nos interlocuteur.trice.s réagiraient à cette expression en s’exclamant: «Mais je ne suis pas violent.e! Je communique bien, moi!»

Tout le monde voudrait que ses habitudes de communication et ses intentions soient vues et reconnues comme positives. Effectivement, beaucoup de gens ont des habiletés de communication. Reconnaissons-le!
Alors, pourquoi dire que la communication ordinaire et habituelle peut être violente? Et pourquoi la Communication NonViolente (CNV) se définit-elle en opposition à la communication violente?

Dans cet entretien, Guillaume Lanctôt-Bédard explique les origines de la non-violence dans la communication. Il nous aide à mieux comprendre comment la communication habituelle peut engendrer de la violence dans les relations. Ensuite, il nous donne des conseils pour maintenir un lien avec les autres même quand les conversations se corsent autour d’opinions, d’idées et d’arguments. Finalement, il propose l’expression Dialogue Authentique pour définir la Communication NonViolente de manière positive.

Pourquoi avoir appelé ça Communication NonViolente?

Cette réaction face au côté rébarbatif du mot non-violent est commune. C’est vrai que nous pourrions tout le temps formuler les mots à la forme positive. Il y a un intérêt à faire cela.

L’aspect non violent provient du mouvement de la non-violence de Mahatma Gandhi (1869-1948) et de Martin Luther King Jr. (1929-1968). Il y avait cette intention d’honorer et de s’inscrire dans ce même courant. La non-violence, c’est l’absence totale d’hostilité.
La non-violence soulève les questions suivantes: comment est-ce que nous pouvons reconnaître l’unité humaine? Comment est-ce que nous pouvons cesser de perpétuer la division? Comment sortir des jugements et du langage qui classent les personnes dans des cases positives ou négatives?

La non-violence, ce sont toutes les façons que nous avons d’interagir – que ce soit de manière subtile ou grossière – qui honorent les gens comme ils sont. Ces interactions permettent de garder le cœur ouvert.

À cela s’opposent les manières que nous avons apprises qui ont tendance à générer de la fermeture et de la défensive. Ces manières nous amènent dans du jeu de pouvoir.

Marshall Rosenberg (1934-2015), le fondateur de la CNV, entendait la non-violence comme une façon de communiquer qui maximise les chances que tout le monde puisse rester dans la dignité et l’intégrité.

Est-ce que cela veut dire que nos manières habituelles de communiquer engendrent de la violence?

Je vous inviterais à vous demander: combien de fois dans votre vie vous avez eu l’impression d’avoir devant vous une personne qui est comme un mur, qui ne répond et ne réagit pas et qui n’a pas de réponses aux perches que vous lui lancez?

Ou bien, vous arrive-t-il d’avoir devant vous une personne obstinée, qui veut juste avoir raison et qui ne vous écoute pas? Quelles sont ces situations où vous avez l’impression que tout est coincé?

Mon pari, c’est que lorsque vous avez une personne comme ça devant vous, c’est qu’il y a quelque chose dans votre manière de communiquer qui génère de la fermeture. Est-ce que cela veut dire que vous avez des intentions malveillantes? Absolument pas.
Cela veut dire qu’il y a des habitudes dans notre manière de communiquer qui proviennent de notre éducation, de notre culture et de notre société. Ces habitudes ont tendance à diviser les gens entre ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est correct et ce qui n’est pas correct.

Aussitôt qu’un être humain entend un jugement, il y a un stress qui pénètre dans son système. Dès que nous nous exprimons à partir du paradigme bien/mal, correct/incorrect, il y a quelque chose qui s’allume chez l’autre et qui se demande: «Vais-je être dans la bonne catégorie?»

Pourtant c’est important dans notre société de faire la différence entre ce qui est vrai ou faux! Il faut dire la vérité et dénoncer les fausses nouvelles, non?

Quand j’entends «dire la vérité», je suis totalement d’accord. S’amener dans sa vérité, c’est un des principes les plus importants de la CNV. Quand j’entends «Voici ce qu’est la vérité. Ceci est une vraie nouvelle ou cela est une fausse nouvelle», j’entends aussi des questions par rapport à qui détient le pôle de déterminer ce qui se passe réellement dans le monde. J’entends aussi des questions sur ce qui est juste et ce qui est faux. Là, nous tombons dans l’ordre du débat.

Le débat est important pour la recherche du juste et pour la confrontation des idées. Il nous aide à converger vers quelque chose qui semble plus proche de la réalité pour tout le monde. En même temps, nous avons la fâcheuse habitude d’entrer dans un débat avant que la connexion n’ait été établie. C’est ici que la CNV prend tout son sens.

Revoyez les fois où vous avez une opinion différente de celle d’une autre personne. Rappelez-vous ces fois où vous êtes certain.e que votre opinion ou votre source d’information sont les bonnes et que votre vision du monde est juste. Avant même que vous continuiez d’échanger avec les autres pour approfondir vos opinions différentes, vous pourriez établir ensemble pourquoi vous voudriez faire ça. Autrement dit, quelles sont vos intentions?

Par exemple, vous pourriez demander à l’autre :
«Qu’est-ce que tu vis en ce moment dans le fait que nous ayons des opinions différentes?»
«Qu’est-ce que ça représenterait pour toi que nous arrivions à une vision commune et à une réalité partagée sur ce qui se passe dans le monde?»

Si nous nous donnions la peine de faire ça avant de débattre de nos idées, nous aurions plus de chances d’être beaucoup plus à l’écoute les un.e.s des autres. Quand nous oublions de connecter avant de confronter nos idées, nous jouons au jeu où tout le monde perd – qui a raison et qui a tort.

La définition de la démocratie, c’est de confronter les idées! Peut-il vraiment y avoir une place pour de la connexion?

Je peux imaginer que nous nous demandions comment amener de la connexion dans des contextes où il y a des protocoles de communication. Dans ces milieux, il n’y a peut-être pas d’ouverture au subjectif, au personnel et à l’émotion.
Quand j’entends ce que tu dis, ce qui me vient à l’esprit, c’est que pour établir la connexion dont je te parle, il peut s’agir d’une demi-phrase pour nommer notre intention. Il s’agit surtout de nommer c’est au service de quoi que je cherche plus d’information et que je veux amener un certain point de vue.

Si je ne prends pas la peine de dire, même avec une demi-phrase, ce qui me tient à cœur et ce que j’essaie de servir, pour moi, un groupe, une communauté ou une société, nous resterons dans notre mental. Nous nous déconnectons alors de notre pourquoi, de notre Why et de notre raison d’être (purpose).

Par conséquent, nous restons dans l’espace du débat oratoire. Nous perdons de notre enracinement, de notre sens et de notre puissance. Nous avons tendance à nous égarer et de ne plus savoir c’est au service de quoi que nous sommes en train d’échanger des idées.

Ça me semble quand même inégal si je parle de connexion alors que les autres veulent débattre des idées et que leurs arguments sont forts! Je vais me faire manger la laine sur le dos!

Je peux imaginer que, dans ton esprit, si tu prends un temps pour être attentif aux autres, si tu te révèles même un peu dans la vulnérabilité, si tu parles des choses qui sont plus proches de ton cœur, tu risques d’être tourné en dérision et dénigré.

C’est une grande tragédie que, historiquement, nous ayons confondu la vulnérabilité avec la faiblesse. Marshall Rosenberg a décrit ce moment dans l’histoire où toute forme d’autorité et de leadership a pris le dessus sur ce qui est sensible et émotionnel.

Ça a pris le dessus à un tel point qu’ aujourd’hui, toute personne qui est en lien avec ses sentiments, ses émotions, sa vulnérabilité et sa subjectivité risque d’être traitée de faible ou d’instable. Elle sera jugée comme une personne qui n’est pas digne de confiance, qui n’est pas capable de prendre des décisions importantes et qui ne peut assumer une position de leadership.

C’est une tragédie, car il manque terriblement d’empathie, de sensibilité, de cœur et de sens dans tous les grands postes de direction de notre société.

Les personnes en situation d’autorité auraient beaucoup à perdre si elles étaient plus sensibles aux sentiments et aux émotions, non?

Quand je repense à plusieurs discours que j’ai entendus dans les deux dernières années et demie, il y a des moments où tout le monde était sous tension et stressé. J’ai entendu les politicien.ne.s et les ministres émettre des jugements qui invitaient les gens à se diviser et à se mépriser entre eux à cause d’opinions différentes sur ce qui se passe dans le monde. Ces discours et ces débats sont des indications claires qu’il n’y a personne qui n’écoute personne.

Il n’y a aucune sincérité.

J’ai posé la question autour de moi et dans tous les milieux: «Avez-vous confiance que les gens en politique disent la vérité?» Les gens m’ont répondu qu’ils sont persuadés que les politicien.ne.s ne disent pas la vérité. Même les personnes plus «conservatrices», qui ne souhaitent pas nécessairement qu’il y ait du changement dans la société, avaient cette opinion.

Mes sondages personnels me disent que le taux de confiance dans la sincérité et l’authenticité des gens en position d’autorité est au plus faible.

Justement, nous devons prendre la parole, nous battre et crier fort pour défendre la liberté d’expression, n’est-ce pas?

Je suis enchanté chaque fois que j’entends quelqu’un exprimer avec du désespoir à quel point c’est important de préserver le droit d’expression, d’avoir des opinions différentes et de débattre! Je partage cette préoccupation.

Le monde peut se laisser impressionner par l’expression Communication NonViolente. Les gens ont l’impression que s’ils étaient non violents, ils seraient passifs, doux et mous. Je peux t’assurer que c’est tout le contraire!

Je crois que nous pouvons nous mettre d’accord sur le fait que Gandhi et Martin Luther King Jr. étaient des leaders extrêmement engagés et puissants dans le mouvement de la non-violence qu’ils portaient.

Je ne voudrais pas que nous pensions que la CNV implique de parler à voix basse, de ne pas déranger personne et de toujours parler de nos sentiments et de nos besoins. Ce n’est pas du tout le cas!

Dans la CNV, nous accordons une place aux sentiments et aux besoins pour amener du sens, de l’humanité et de l’empathie. Cela nous révèle dans notre vérité et notre vulnérabilité. Ce sont des portions de notre expression qui vont générer beaucoup de confiance, car les autres vont voir que nous sommes congruents – c’est-à-dire en rapport adéquat avec eux et elles.

En même temps, il y a des façons d’amener beaucoup de puissance et de pouvoir avec la CNV.

Marshall Rosenberg appelait ça crier en girafe. La girafe est le symbole de la CNV avec son cœur immense. Crier en girafe, c’est lorsque nous savons que dans certains contextes, si nous ne levons pas le ton, si nous n’amenons pas plus de fermeté, si nous ne prenons pas une place avec plus de puissance, nous ne serons pas entendu.e.s. Ça ne va pas à l’encontre de la CNV quand nous arrivons avec notre force, parlons haut et fort et prenons une place avec puissance.

Marshall Rosenberg faisait une différence entre l’usage de la force protectrice et l’usage de la force punitive. L’usage de la force punitive est basé sur ce qui est bien/mal et tout le monde y perd. L’usage de la force protectrice, c’est lorsqu’il y a des besoins fondamentaux de notre personne, de notre communauté ou de notre société qui sont menacés et, pour les protéger, nous ne voyons pas d’autres moyens pour attirer l’attention que d’avoir recours à la force dont nous disposons.

Es-tu en train de parler de désobéissance civile et de résistance? Est-ce que ça peut faire partie de la CNV?

La désobéissance civile, certainement. La résistance, j’aime moins le terme. Je vais te dire pourquoi. Les principes de la CNV et ceux de la désobéissance civile concordent. Si nous voulons prendre soin de la vie et de la société, nous voulons agir à partir d’une action qui est centrée et branchée sur ce qui est au service de la vie et des humains en société. Si notre conscience est toujours à la recherche de solutions qui prennent tout le monde en considération et si elle nous dicte d’agir à l’encontre des lois, alors oui, désobéissons.

Qui n’aurait pas souhaité que les nazis désobéissent à leurs supérieurs quand ils se faisaient ordonner de tuer des millions d’humains. Ce qui est important, c’est d’obéir à sa conscience.

Voici pourquoi je préfère éviter le mot résistance. La CNV consiste à agir et à parler à partir de ce qui nous inspire et vers ce à quoi nous aspirons. Dans la résistance, nous sommes encore une fois en train de réagir à une force extérieure. Nous ne partons pas d’une puissance intérieure. En CNV, nous préférons éviter de nous soumettre aux pressions extérieures et nous ne voulons pas nous rebeller face à celles-ci. Quand on fait l’un ou l’autre, nous ne sommes pas dans notre puissance personnelle: nous sommes encore en réaction à ce qui vient de l’extérieur.

La Communication NonViolente s’oppose pourtant à la communication violente… Aurait-elle pu s’appeler autrement?

Ça aurait certainement pu s’appeler autrement! En même temps, c’était important pour Marshall Rosenberg d’honorer le travail qui avait déjà été fait par ses prédécesseurs, dont Gandhi et Martin Luther King Jr.

À cause de cette réaction, nous utilisons Dialogue Authentique pour parler de la communication non violente chez Spiralis.
Le mot dialogue provient du grec dialogos. Le dialogue signifie créer une logique à deux. Il contraste clairement avec ces situations tendues où nous embarquons dans un débat. Le dialogue est une recherche de sens dans la cocréation, à deux ou à plusieurs. Cela nous interpellait beaucoup.

Le mot authentique rappelle une qualité tellement importante. Il y a quelque chose dans l’authenticité qui génère énormément de confiance. J’aimerais ça que nous essayons d’imaginer un monde où toutes les personnes en situation d’autorité seraient vraiment authentiques et honnêtes. Je crois que nous vivrions dans un monde complètement différent!

Le Dialogue Authentique nous a grandement inspiré.e.s et il porte beaucoup de fruits actuellement.

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