La CNV comme ancrage en zone de turbulence

Il paraît qu’on est en plein coeur de l’automne. Moi, j’appelle ça la saison du « tout en même temps ».
Les projets s’accumulent, les échéances se rapprochent, les courriels pleuvent, les réunions s’étirent. Et ce n’est pas tout : les activités parascolaires battent leur plein, les devoirs s’ajoutent aux soirées, les engagements familiaux se multiplient.
C’est la période où tout le monde avance vite — parfois trop vite — et où l’impression d’être constamment en mode adaptation devient la norme.
Récemment, une collaboratrice me confiait à quel point ce “tout en même temps” se manifestait dans son quotidien.
Son organisation venait tout juste de migrer vers un nouveau système d’exploitation… alors que leur haute saison battait son plein.
Les fichiers ne sont plus là où ils étaient.
Les raccourcis familiers ne fonctionnent plus.
Elle perd un temps fou à chercher ce qui, hier encore, était au bout de ses doigts.
Les courriels s’accumulent, les clients attendent, les délais s’allongent.
Dans ces périodes de transition et de rythme accéléré, le chaos s’installe sournoisement: d’abord à l’extérieur, puis à l’intérieur.
Au fil des jours, un nouveau rythme s’impose — souvent au prix du calme et de la clarté.
On réagit, on s’adapte, on fait tout pour suivre, sans toujours s’arrêter pour sentir à quel point on subit le rythme plus qu’on ne le choisit.
Et si, au lieu d’ajouter encore une action de plus à la liste, on prenait le temps de s’arrêter pour de vrai — pas pour fuir, mais pour observer, comprendre, et choisir comment continuer avec plus de conscience ?
C’est précisément ce que permet la Communication NonViolente (CNV) : apprendre à naviguer le chaos, sans s’y perdre.
Le chaos fait partie de la vie
Parfois, il est visible et bruyant : des systèmes qui ne fonctionnent pas, des échéances qui s’accumulent, des courriels qui s’empilent sans réponse, des conversations qui tournent en rond.
Parfois, il est plus discret, mais tout aussi envahissant : une boule dans le ventre, une fatigue persistante, une sensation de confusion ou d’impuissance.
Et dans tout ce brouhaha extérieur, il y a ce qui se passe à l’intérieur de nous.
Dans cet article, j’ai envie de vous proposer une lecture du chaos à la lumière de la CNV.
Non pas pour éliminer le chaos – il est parfois inévitable, et même fertile – mais pour apprendre à le traverser avec plus de clarté, d’ancrage et de présence.
Comme Marshall Rosenberg nous y invitait : commençons par nous relier à ce qui se passe en nous, avec lucidité et bienveillance.
Deux types de chaos
Pour commencer, distinguons deux formes de chaos :
- Le chaos extérieur : désordre matériel, confusion dans les systèmes, malentendus dans les communications, imprévus dans la coordination.
- Le chaos intérieur : surcharge mentale, tension, agitation émotionnelle, indécision, perte de repères.
Les deux sont souvent liés.
Quand c’est le chaos à l’extérieur, on peut vite se sentir débordé·e à l’intérieur.
Et quand c’est le chaos à l’intérieur, on a du mal à être clair·e, à agir avec discernement, à garder le cap.
Alors, comment ramener de la clarté en soi, pour mieux naviguer ce qui nous entoure?
Étape 1 : Observer sans interpréter
Dans le tumulte, notre premier réflexe est souvent d’interpréter, de juger, d’attribuer des torts : « C’est mal foutu », « On ne m’écoute jamais », « Il y a trop de pression », « Je perds mon temps ».
💡 Ces pensées, si compréhensibles soient-elles, rajoutent du flou et du poids à notre expérience, et nous gardent prisonnier·ère·s du brouillard.
La première étape, en CNV, consiste à revenir à une observation factuelle, objective, vérifiable.
Par exemple :
«J’ai cherché le fichier habituel et je n’ai pas pu le retrouver en cinq minutes dans le nouveau système.»
Ce n’est ni une plainte, ni une critique, ni une généralisation. C’est une donnée claire, sur laquelle on peut s’appuyer pour démêler ce qui suit de manière constructive.
Étape 2 : Accueillir ce qui se passe en moi
Une fois les faits identifiés, je peux me demander: qu’est-ce que je ressens dans cette situation ?
Un sentiment, pas une pensée. Pas «Je suis vraiment à bout parce que plus rien ne fonctionne!», mais plutôt: je me sens tendu·e parce que j’aimerais retrouver de la fluidité et du calme dans mon travail.
Puis vient la question clé : de quoi ai-je besoin ?
👉 Téléchargez gratuitement la liste des sentiments et besoins en CNV
Un besoin n’est pas une stratégie. Ce n’est pas «J’ai besoin que ça revienne comme avant» ou «J’ai besoin d’un meilleur logiciel».
Un besoin est une dimension de mon être qui cherche à être nourrie : clarté, efficacité, soutien, reconnaissance, fluidité, prévisibilité, autonomie, sens, calme…
Une stratégie, c’est la manière dont je tente de combler ce besoin.
Par exemple: demander une nouvelle formation, changer de logiciel, déléguer une tâche, obtenir du soutien de la part d’un·e collègue…
💡 Si je confonds mon besoin avec une stratégie, je me coupe de mes options, je perds mon pouvoir. Parce que je crois qu’il n’existe qu’une seule manière d’être bien. Et si cette stratégie ne fonctionne pas, la frustration et l’impuissance reviennent.
En revenant à mon besoin profond, je retrouve de la souplesse. Je rouvre le champ des possibles, en cherchant comment d’autre je pourrais nourrir ce besoin.
Étape 3 : Ramener mon attention là où j’ai du pouvoir
Quand je perds pied, que la confusion monte, que les émotions s’emballent, il y a un réflexe précieux à cultiver : ramener mon attention sur mon besoin.
Plus je suis au clair sur ce que je cherche à nourrir, plus je suis en mesure de poser des actions justes – pour moi et pour les autres.
Et parfois, il n’y a rien à faire d’extérieur.
Pas de contrôle sur la situation. Pas de solution immédiate.
Alors je me demande : qu’est-ce que je peux faire maintenant pour prendre soin de moi ?
Respirer.
Boire de l’eau.
Prendre une pause.
Mettre une main sur mon cœur.
Appeler une personne de confiance.
Se réguler. Faire le deuil. Créer un peu d’espace. Revenir au calme.
Étape 4 : Formuler une demande claire (et non une exigence)
Quand je suis reconnecté·e à mon besoin, je peux formuler une demande. Une vraie demande. Pas une exigence déguisée. Quelque chose que l’autre peut entendre, accueillir, et même refuser, sans que le lien se rompe.
La demande, comme en CNV, est une piste de solution concrète. Spécifique, réaliste, formulée à la première personne :
«Serais-tu disponible pour m’expliquer le nouveau système pendant 30 minutes cette semaine ?»
«Est-ce que je pourrais te remettre le document mardi prochain plutôt que ce vendredi ?»
Et si l’autre dit non ? Je reviens à mon besoin. Je reste curieux·se. Je peux chercher une autre stratégie. Ce n’est pas la fin du monde : c’est une invitation à la créativité.
La boussole intérieure : l’intention
Quand tout est confus, une question m’aide à me recentrer :
🧭 Quelle est mon intention ?
Est-ce que je veux me défouler ? Éduquer ? Blâmer ? Avoir raison ? Ou est-ce que je veux avancer dans le sens d’une relation où mes besoins sont considérés, sans nier ceux des autres ?
Plus je suis chargé·e, plus cette question devient cruciale. Clarifier mon intention m’aide à rester intègre, même quand l’intensité monte.
Le chaos, ce passage nécessaire
En science, la théorie du chaos nous rappelle que le désordre n’est pas qu’un accident.
🌪️ Dans tout système vivant, un bouleversement peut sembler chaotique au début — les repères se perdent, les équilibres se brisent — mais ce désordre prépare souvent une réorganisation plus fine, plus adaptée à la réalité présente.
C’est pareil pour nous.
Quand tout s’embrouille, que les repères disparaissent, il y a souvent quelque chose en nous — ou dans notre équipe — qui tente de se réajuster.
Ce n’est pas un signe d’échec. C’est un signe de vie en mouvement.
🌱 La CNV nous offre une manière d’habiter ce chaos sans nous y perdre. Elle nous aide à observer, ressentir, nommer, demander — afin de ne plus se perdre dans la confusion, de rester ancré·e et calme au cœur de la tempête, et de retrouver notre pouvoir personnel grâce à cette clarté qui remet de l’ordre à l’intérieur.
Parce qu’au fond, naviguer le chaos, ce n’est pas chercher à revenir à “avant”. C’est apprendre à faire confiance au mouvement, et parfois, découvrir qu’après la tempête… l’ordre qui revient est plus vivant qu’avant.
— Geneviève Bertrand
Directrice générale de Spiralis
Note de l’autrice
Cet article s’inspire de la conférence Naviguer le chaos, offerte en entreprise par Guillaume Lanctôt-Bédard, formateur et coach certifié en Communication NonViolente (CNVC). J’ai eu le plaisir d’y assister, et plusieurs des idées présentées ici prennent racine dans son approche et sa façon d’accompagner les équipes à travers le changement.
Pour organiser cette conférence ou une formation adaptée à votre réalité d’équipe, contactez-moi à gbertrand@spiralis.ca.

