Comment devenir un·e leader empathique

Par Jean-Philippe Bouchard, le 6 septembre, 2024

C’est l’une des rares fois où les 12 vice-président·e·s de cette institution financière se rencontrent en personne, passant la majorité du temps en visioconférence. Il y a des nouveaux qui se voient pour la première fois, des anciens qu’on préfère de l’autre côté d’un écran. Il y a des nouveaux qui se voient pour la première fois, des anciens qu’on préfère de l’autre côté d’un écran. Nous sommes à la fin du premier avant-midi de ces 2 jours de retraite, on a souligné les bons coups de chacun et l’atteinte des objectifs stratégiques. Un climat de camaraderie régnait jusqu’à ce que j’annonce le prochain point à l’ordre du jour : l’efficacité des prises de décision.

Faire éclater la bulle de politesse

Je n’avais pas terminé mes explications que Véronique, la nouvelle VP opérations, se permet de m’interrompre. Sur un ton ferme, la voix qui tremble tout de même un peu, elle dit : « Je vois bien tous les efforts individuels pour atteindre nos résultats et pourtant, dans nos interactions informelles, j’entends toutes sortes de mécontentements et même d’inquiétudes. Malgré le nombre important de rencontres que nous avons ensemble, ces sujets ne sont jamais abordés à cette table! Dès que la CEO est présente, tout semble bien aller! Lorsque c’est le temps de solutionner nos défis stratégiques en tant qu’équipe, on reste en surface, on ne révèle que ce qui n’est pas trop dommageable pour nos égos et notre réputation. J’en ai marre de ce faire semblant. Aujourd’hui – une rencontre de consolidation d’équipe – serait un bon moment pour laisser sortir le chat du sac, d’aborder des sujets plus délicats qui nous feraient avancer efficacement vers notre vision. » Elle regarda chacun de ses collègues, elle ne semblait pas satisfaite et ajouta : « Si je suis plus directe, je veux vraiment qu’on mette sur la table tout ce qui nous fait chier afin qu’on puisse le régler et passer à autre chose !» Elle s’adossa sur sa chaise.   

Silence. Un tel franc-parler dans cette culture n’était pas commun, surtout qu’elle venait de pointer la CEO du doigt! Tout le monde me regardait dans l’espoir que j’apaise le moment, mais je ne fis rien pour alléger la tension. En fait, en tant que facilitateur, je trépignais de joie qu’enfin on dépasse les limites de la politesse, je voyais dans cette boutade une réelle possibilité d’entrer dans un espace de leadership empathique. J’ai regardé Judith, la CEO, elle souriait.

La dynamique interne de la CEO influence la dynamique externe de son équipe

Je dois vous dire avant de continuer que dans les mois qui ont précédé cette rencontre, j’ai coaché Judith afin de l’aider à soutenir ses VP à devenir eux-mêmes de meilleurs leaders.

Judith est une femme de principe, brillante qui prend des décisions rapidement. Ambitieuse, elle cherche à être rassembleuse en responsabilisant ses gestionnaires. Cependant, toute hésitation qui vient de ses gestionnaires est rapidement perçue comme une marque de faiblesse et rencontrée avec un ton dur qui laisse peu de place aux autres. Ils évitent donc de nommer ce qui ne va pas puisque ça se termine souvent en commentaires méprisants ou pire encore, elle dicte les solutions… ce qui déresponsabilise les VP, diminuant la confiance, augmentant le stress et les non-dits, rendant tout le monde encore plus hésitant.

Elle connaissait ce cercle vicieux qui l’éloignait de ce qu’elle voulait créer comme culture. Elle voulait travailler à développer de nouvelles habitudes qui lui permettraient d’être plus cohérente avec ces valeurs d’intégrité, de plaisir et de travail d’équipe qu’elle voulait incarner dans son rôle.

Qu’est-ce que le leadership empathique

Soutenir des leaders à changer d’habitude, à incarner leurs valeurs, à briser leurs dynamiques internes qui nuisent à ce qu’ils veulent vraiment est au cœur de ma contribution professionnelle. Depuis plus de 25 ans que j’accompagne des gestionnaires, à la recherche de comment leur permettre de déployer toute leur puissance tout en prenant en considération les besoins des acteurs clés du système dans lequel ils œuvrent.

J’ai développé au cours des dernières années une approche que j’appelle le leadership empathique que je définis comme un espace d’exploration de la triple responsabilité du leader :

  1. La responsabilité de qui je suis en tant que personne : On parle ici d’une prise de responsabilité totale de qui je suis en tant qu’individu – mes forces et mes limites, mes pensées et mes émotions, mes paroles et mes gestes. Ce niveau de responsabilité permet de devenir un réel acteur de ma propre vie, de faire face à mon anxiété, de choisir ce qui est bon et juste pour moi et de vivre une vie riche de sens, libre et joyeuse.
  2. La responsabilité des élans profonds qui motivent mes actions : Ce niveau de responsabilité m’invite à prendre la pleine responsabilité de mes élans, de mes motivations intrinsèques et de mes aspirations profondes. Prendre conscience de ce qui m’anime permet de déployer mon énergie de manière plus efficace, de m’engager dans des projets avec plus de confiance, de dire non aux nombreuses opportunités qui viennent vers moi, mais qui ne sont pas alignées avec mes aspirations.
  3. La responsabilité de l’impact que j’ai sur le monde qui m’entoure : C’est un espace où je suis conscient et sensible de l’impact que j’ai sur les autres et sur le Monde. Cette recherche constante de feedback permet d’augmenter la vélocité du mouvement vers mes élans profonds puisqu’elle me permet de percevoir les résistances, les ouvertures, les opportunités et les difficultés. C’est aussi au niveau de cette responsabilité que l’on s’ouvre aux heurts qui découlent de nos actions sans toutefois sombrer dans la culpabilité.

Changer d’habitude est un entrainement olympique

Vous devinez qu’avec une telle définition du leadership que mon travail de coach avec Judith ne s’est pas situé au niveau de conseil ou de quelques trucs sur la communication ou l’influence.

Nous avons exploré ensemble les racines de son impatience et de sa colère, les croyances limitantes qui y étaient attachées, les peurs et les besoins sous-jacents. Les prises de conscience qu’elle a faites ont permis de développer une relation plus saine avec ceux-ci.

Cette nouvelle prise de responsabilité en lien avec qui elle est lui a permis en retour de mieux se comprendre – sans se juger – et d’assumer plus pleinement les valeurs qu’elle portait et voulait instiguer dans son organisation. Sous cette nouvelle lumière, son impatience et sa colère ne sont plus des ennemies à combattre ou des monstres à dompter, mais bien des sources d’information et d’énergie qu’elle peut canaliser pour créer du mouvement vers ce qui lui tient vraiment à cœur (en lien avec la deuxième responsabilité).

Pratiques et réflexions lui on permit de reconnaître les signes de ses montées de colère – entre autres dans son corps – afin de pouvoir agir sur celles-ci avant qu’elle ne perde le contrôle. Cette sensibilité aux signaux subtils de son corps lui permet maintenant de ne pas simplement réagir à la colère, mais bien de la canaliser pour donner plus de puissance à ses gestes et ses paroles.

C’est avec cette nouvelle empathie pour elle-même qu’elle pouvait maintenant jouer son rôle de leader avec plus d’empathie pour les autres (en lien avec la troisième responsabilité). De s’attarder à l’impact de ses gestes et de ses paroles sur ses collaborateurs les plus proches lui permet de répondre à ce qui se présente avec plus de justesse.

Ce qui nous ramène à notre histoire!

Ouvrir de nouvelles possibilités

Judith me regarda et demanda la parole. Tous les regards se tournèrent vers elle, certains inquiets, d’autres enthousiastes, tout le monde curieux : allait-elle exploser de colère? Critiquer Véronique? Elle dit : « Je crois que ce qu’amène Véronique est absolument crucial, non seulement si on veut atteindre nos objectifs, mais aussi pour notre santé mentale à tous ». Elle inspira et ajouta avec beaucoup de vulnérabilité : « J’ai l’impression que ma manière de réagir contribue à cette dynamique où on ne parle que des problèmes de manière superficielle en équipe. Je sais que toute hésitation de votre part fait ressortir mon impatience et même de la colère ». J’ai vu quelques personnes expirées, plusieurs épaules ont descendu. Elle a continué en disant : « J’ai une vision très claire et beaucoup d’ambition pour notre organisation, et lorsque je m’emporte c’est parce que j’aimerais que ça avance plus vite, plus efficacement. Je comprends que lorsque je fais cela, ça ferme le débat, créer de la défensive et limite l’exploration de solution potentiellement plus créative et efficace. Je vous dis ça aujourd’hui parce que j’aimerais qu’on expérimente quelque chose de différent, qui vous permettra de dire et d’exprimer réellement ce qui est important pour vous ».

L’authenticité des mots de la CEO a pénétré tranquillement dans les esprits et les cœurs des VP. En les regardant, je sentais un certain espoir qui montait accompagné d’une petite anxiété liée à toutes ces nouvelles possibilités qui s’ouvraient devant eux.

Après avoir ouvert sur quelques réactions, largement positives – on ne se débarrasse pas de la politesse en 1 jour! – on se met d’accord sur le sujet de l’après-midi. Toutes les personnes dans la salle vont répondre à la question : « Si je suis honnête avec vous, ce qui me fait chier dans cette équipe est… ». Ils sont tous partis vers le lunch avec un niveau d’enthousiasme qui dépassait de loin les sourires polis du début de la journée.

La suite de l’histoire sera pour un autre temps puisqu’elle nous mène vers d’autres concepts importants du leadership empathique comme l’expression courageuse, la qualité de présence et la symétrie de la vulnérabilité.

3 pratiques pour soutenir un leadership empathique

En guise de conclusion, je vous propose 3 pratiques qui ont soutenu Judith dans son développement. Si vous en avez l’élan, essayez-les dans le prochain mois.

  1. Ralentir le rythme : Judith à un cerveau et un corps qui va très vite. Cette capacité est essentielle dans son rôle de décideuse, mais c’est aussi une fuite qui lui permet d’éviter les enjeux plus complexes et émotionnels. Pour la soutenir dans son intention, je lui ai proposé de ralentir le rythme de sa marche de moitié lorsqu’elle passait d’une réunion à l’autre et de remarquer ce que ce nouveau rythme ouvrait comme possibilité pour elle. Plusieurs réalisations sont venues de cette pratique, qu’elle continue de faire à ce jour, particulièrement les jours de stress.
  2. Balayage corporel : En lien avec augmenter sa capacité à ressentir les signaux subtils de sa montée de colère, je lui ai proposé de prendre le temps de faire 3 balayages corporels de 5 minutes tous les jours. C’est un exercice de pleine conscience qui demande de porter son attention sur ces sensations corporelles en commençant par les pieds et en montant tranquillement jusqu’à la tête.
  3. Parler en dernier : Cette autre pratique s’est révélée particulièrement difficile pour Judith. Elle s’est donné pour mission d’offrir son opinion ou ses commentaires seulement si tous les autres avaient fait part des leurs. Une des grandes découvertes de cette pratique fut que son équipe arrivait la plupart du temps à une réflexion similaire à la sienne et que son apport avait encore plus d’impact lorsqu’elle intégrait tout ce qui avait été dit en ajoutant sa touche.

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