Écrire des courriels humains dans un monde pressé

Et si on prenait soin… par courriel?
On reçoit beaucoup de courriels. Peut-être même un peu trop pour garder un vrai équilibre et prendre soin de tout ce qui nous tient à cœur.
Souvent, on ne prévoit pas de temps dans notre horaire pour la gestion des communications. Résultat : on finit par ouvrir nos messages entre deux rencontres Zoom, sur le coin d’un comptoir, dans le métro, cinq minutes avant de partir chercher les enfants, ou juste avant de fermer l’ordi en espérant ne pas trop penser au boulot le soir.
Et dans cette gestion un peu chaotique, les courriels deviennent des to-do, des urgences à traiter, des obligations à ne pas oublier. On ne les voit plus comme ce qu’ils sont profondément : des dialogues. Profonds, silencieux parfois, mais bien réels.
Les courriels, ce sont des échanges. Des demandes. Des partages. Des relances. Des tentatives de connexion. Des suivis. Des élans.
Des gens qui tendent une main. Et d’autres qui, parfois, oublient de répondre.
Et si on échangeait avec quelqu’un de vive voix comme on le fait parfois par courriel… ça donnerait quoi?
— Salut.
— As-tu eu le temps de lire ce que je t’ai envoyé?
— …
— Je t’ai relancé deux fois.
— …
— Allô?
— …
— Bon ben. Tant pis.
C’est un peu brusque, dit comme ça. Un peu froid. Pourtant, c’est exactement ce qui se passe quand un courriel reste sans réponse. Ou quand on répond avec deux mots. Ou qu’on attend deux semaines avant de dire : « Ah oui, désolée, j’avais oublié. »
Et je ne jette la pierre à personne. Moi la première, ça m’est arrivé. Plein de fois. De ne pas répondre tout de suite. D’oublier. De mettre en attente. De relire trois fois en me disant que j’allais le faire plus tard, puis de ne jamais le faire. Ça m’arrive encore malgré toute ma volonté de faire autrement.
Mais un jour, j’ai pris conscience de tout ça. J’ai réalisé que les courriels sont des dialogues. Et que la qualité de ma communication par écrit avait parfois très peu à voir avec la qualité de présence que j’essaie de cultiver partout ailleurs dans ma vie.
Je me suis rendu compte qu’il y avait un décalage. Un écart entre mes valeurs et certains de mes écrits (ou silences). Et comme je valorise le dialogue, l’empathie, l’expression authentique, la clarté d’intention et de présence… j’ai décidé de faire autrement.
Pas parfaitement. Mais avec conscience.
J’ai développé une posture. Une éthique personnelle du courriel. Un genre de code de soin. Parce que je sais ce que ça fait, un message sans réponse. Parce que je connais ce petit pincement, cette déception, cet espoir qui s’essouffle.
Je ne connais personne qui ne vit pas d’émotions face à un message resté sans suite. Ce n’est pas juste une boîte de réception. C’est une boîte de relation.
Et pourtant, on laisse tant de messages sans réponse.
Quand ça m’arrive, ce n’est pas par mauvaise volonté. C’est souvent un véritable oubli. Ou alors un choix : celui de ne pas répondre tout de suite pour préserver un besoin précieux — peut-être mon équilibre, ma famille, mon énergie.
Mais même quand c’est un choix légitime, j’ai envie de garder la relation vivante. De ne pas laisser l’autre dans le vide. De ne pas oublier qu’il y a quelqu’un, de l’autre côté de l’écran.
Alors j’ai mis en place des stratégies. Des façons de nourrir la considération, même dans le silence. Des balises, des intentions, des phrases-clés. Des gestes simples qui me permettent d’habiter mes courriels avec plus de conscience, plus de soin, plus de clarté.
Parce que pour moi, la Communication NonViolente ne s’arrête pas à l’oral. Elle s’écrit aussi. Elle s’incarne aussi dans les messages qu’on laisse traîner, dans les relances qu’on oublie, dans la qualité de réponse qu’on donne à une invitation.
Dans la suite de ce texte, j’aimerais partager un peu de cette posture. Pas comme un guide parfait, mais comme une invitation.
À écrire comme on parle. À répondre comme on aimerait qu’on nous réponde. À mettre du soin, même quand c’est court. Même quand c’est “juste un courriel”.
1. Un courriel, c’est d’abord une personne qui parle
Un message, ce n’est pas juste un enchaînement de mots. C’est souvent un élan, une demande, un partage d’enthousiasme ou d’inquiétude. Et parfois, un appel au soutien. Quand on ouvre notre boîte de réception à toute vitesse, on oublie qu’il y a quelqu’un de l’autre côté. Quelqu’un qui a pris du temps. Qui s’est peut-être relu trois fois. Qui attend peut-être une réponse pour avancer. Et c’est en oubliant cette humanité qu’on commence à lire les messages comme des notifications, pas comme des relations.
2. Répondre vite… sans perdre la qualité relationnelle
On est pressés. Tout le monde l’est. Mais répondre à la chaîne, avec des “OK”, “Vu”, “On s’en reparle” peut, sans qu’on le veuille, faire l’effet inverse de ce qu’on souhaite : fermer la relation au lieu de la nourrir. Et pourtant, il est possible d’être bref et chaleureux. Une phrase suffit parfois pour garder le lien vivant : • Merci pour ton message, je veux y revenir plus tard avec plus de présence. • C’est bien reçu, et je me garde un moment pour y répondre plus en détails dans les prochains jours. • J’ai lu et je laisse mijoter, je te reviens dès que possible.
On peut aller vite sans oublier la qualité. Et on peut cultiver le lien sans écrire un roman.
3. Le poids émotionnel des courriels sans réponse
On connaît presque tous cette gêne de relancer quelqu’un qui ne répond pas. Ce moment où on hésite à écrire, parce qu’on ne veut pas déranger, paraître insistant·e, ou provoquer une réaction défensive.
Et pourtant… on vit aussi l’autre côté. On connaît cette petite piqûre quand un message reste sans suite, même après deux ou trois relances. Cette impression de ne pas compter. Ce besoin de reconnaissance qui reste suspendu.
Alors si on sait que le silence peut blesser, pourquoi continuons-nous à laisser autant de messages sans réponse?
Souvent, par oubli. Par manque de temps. Par surcharge. Par peur de ne pas avoir la bonne réponse. Et ça aussi, c’est humain.
Mais dans ces moments-là, on peut quand même garder le lien :
- Je ne t’ai pas oublié·e, mais je n’ai pas encore trouvé l’élan (ou le temps) pour te répondre.
- Ton message est encore bien présent pour moi. Et si jamais tu sens que j’oublie, je t’invite à me faire signe.
- Je comprends que d’autres priorités prennent peut-être le dessus en ce moment — et en même temps, j’aimerais beaucoup savoir où en est ce projet de votre côté.
- Je comprends que ce n’est peut-être pas en haut de ta liste pour l’instant, et je serais heureuse d’avoir de tes nouvelles quand ce sera possible pour toi.
Il est possible de relancer sans piquer. De demander sans exiger. D’inviter sans culpabiliser.
4. Comment dire non par courriel avec bienveillance
Il y a des messages auxquels on n’aura pas envie de répondre. Parce qu’on n’a pas l’espace. Parce que ce n’est pas juste. Parce qu’on n’a pas l’élan. Et parfois, on laisse traîner. On se dit qu’on répondra plus tard. Mais plus tard devient jamais.
Dire non, ou pas maintenant, c’est aussi une manière de prendre soin de la relation.
Voici quelques formulations qui ferment la boucle avec respect :
- J’ai pris un temps pour y réfléchir, et je réalise que ce projet ne correspond pas à mes priorités ou à mes ressources du moment — en te remerciant sincèrement d’avoir pensé à moi et d’avoir ouvert cet espace.
- Après réflexion, je sens que je n’ai pas l’élan ou la disponibilité intérieure pour m’engager dans cette proposition pour l’instant — merci d’avoir pensé à moi.
- Je préfère te répondre maintenant, même si c’est un non, parce que j’ai à cœur de nourrir la clarté et de ne pas te laisser dans l’incertitude plus longtemps.
Répondre, même pour dire non, c’est offrir de la clarté. Et la clarté, c’est de la considération.
5. La charge mentale liée à nos communications par courriel
Répondre à des messages, ce n’est pas juste 5 minutes ici et là. C’est du temps de réflexion. C’est une charge mentale. C’est parfois de l’émotionnel, aussi. Et pourtant, peu d’organisations reconnaissent ce travail invisible. On multiplie les réunions, les livrables, les urgences, sans réserver de temps pour gérer nos courriels avec conscience.
Résultat? On surcharge les gens et on s’étonne de leur “manque de réactivité”.
Et si on normalisait autre chose?
- Se garder du temps dédié à la gestion de courriels dans nos agendas
- Mettre des messages d’absence, même pour une journée chargée
- Créer des ententes d’équipe sur les délais de réponse raisonnables
Répondre à tout, tout de suite, peut sembler professionnel. Et parfois, c’est une manière de s’oublier et d’oublier l’autre.
6. Soigner le ton de nos courriels, comme à l’oral
On soigne nos mots à l’oral. On dit “bonjour”, on prend le temps d’introduire, de conclure, de dire merci.
Et en courriel?
Parfois c’est :
- OK
- C’est fait.
- Besoin de ton retour ASAP.
- Tu peux corriger et renvoyer?
- Dis-moi si t’as eu mon message.
On gagne du temps. Mais on perd du lien.
Et si on écrivait comme on parle? Et si on disait :
- Bonjour, j’espère que tu vas bien
- J’espère que tu trouves un peu de souffle dans ce rythme chargé
- Un mot pour prendre contact ce matin
- Je t’écris avec l’envie de faire avancer notre projet
- Je me permets de revenir vers toi avec quelques nouvelles
- Merci d’avoir préparé ce document, c’est vraiment soutenant
- Je te souhaite une belle fin de journée
- Au plaisir de continuer nos échanges
- Merci d’avance pour ton retour, quand ce sera le bon moment pour toi
- À bientôt
On parle ici de quelques secondes de plus. Ce sont des détails. Mais les détails, ça change tout.
7. Vers une éthique personnelle des communications écrites
Ce que je propose ici, ce n’est pas une recette. Ce n’est pas une règle de plus à suivre. C’est une invitation à s’aligner.
À se demander :
- Quelle intention je veux mettre dans mes échanges écrits?
- Quels automatismes je veux laisser derrière?
- Comment puis-je garder le lien humain, même dans une boîte de réception?
Voici quelques repères qui m’aident au quotidien :
Quand je n’ai pas l’espace pour répondre, je le dis.
Quand je sens que je vais oublier, je le nomme et j’invite à me relancer.
Quand un message me touche, je le dis, même en une ligne.
Quand je relance, je le fais sans accusation.
Quand je refuse, je le fais avec clarté et douceur.
Et je m’autorise à choisir la relation, même quand je suis débordée.
Et si on prenait soin… aussi dans nos courriels?
Soin de la relation, soin de l’intention, soin du lien.
Et parfois, soin de soi, aussi. Avant d’ouvrir. Avant de répondre. Avant d’écrire.
Mais ça, c’est un autre sujet. 😉
— Geneviève Bertrand
Directrice générale chez Spiralis

